dimanche 18 mars 2012

Visite guidée des clubs échangistes à Paris

Article paru dans The Guardian, sous la plume de Jon Henley.


Un correspondant scrupuleux se doit d'explorer toutes les facettes de la vie du pays où son journal l'a envoyé. Voici le reportage d'un Britannique sans peur et sans reproche, qui n'hésite pas à fréquenter les lieux de perdition.



L'entrée, discrète, baigne dans un éclairage tamisé. Au pied d'un banal immeuble moderne du XIIIe arrondissement de Paris, une porte s'ouvre. Une femme d'une cinquantaine d'années à la coiffure soignée inspecte les nouveaux arrivants : tenue correcte exigée et un "Non, désolé monsieur, pas d'hommes seuls ce soir. 300 FF le couple, je vous prie." A l'intérieur, l'ambiance vibre d'impatience mal dissimulée. Cocktail à la main, des couples sont installés le long d'un bar en bois et bavardent avec d'autres couples, tout en jetant des coups d'oeil à la piste où une blonde en jupe transparente danse la valse avec un homme bronzé en tenue de soirée. D'autres couples, jeunes ou moins jeunes, beaux et moins beaux, rejoignent les deux danseurs. On s'agite. On échange des regards, on envoie des signaux. Une main d'homme se pose sur l'épaule d'une femme qui n'est pas sa partenaire, le doigt d'une femme effleure les cheveux d'un inconnu. De ces différents signaux émergent de nouveaux couples et quatuors, qui se mettent à danser, à s'enlacer. On retourne au bar, on recommande à boire, on s'assoit, on sourit, on bavarde. Chacun précise ses préférences, et l'on finit par se mettre d'accord. Ensuite, le quatuor s'éclipse.
Derrière la piste de danse s'ouvre une étroite porte donnant sur une longue pièce obscure. Divans et coussins s'alignent contre des murs, le long desquels sont aménagées des alcôves fermées par des rideaux. Des couples, des trios, des quatuors font l'amour sur les divans. D'autres les regardent. Le rideau d'une alcôve s'écarte, le faisceau d'une lampe torche éclaire un couple qui attend devant l'entrée ; un rapide coup d'oeil, et il est invité à entrer. Devant une autre alcôve, on refuse poliment une proposition semblable. La pièce résonne de gémissements, de murmures et d'imprécations. L'odeur - mélange de sueur, de parfum et de fluides corporels - est indescriptible. Une fois rhabillés, assis au bar comme s'il ne s'était absolument rien passé en ce vendredi soir ordinaire, deux jeunes couples séduisants qui ne se connaissaient pas une heure auparavant discutent du prix des loyers dans le XVIe arrondissement. "Oh, zut ! s'exclame l'une des femmes, j'ai laissé ma culotte à côté. Chéri, tu ne voudrais pas aller me la chercher ?"
Le terme de bizarre ne convient pas à ce genre d'endroit. Il s'agit d'un club échangiste, ou, plus vulgairement, d'une boîte à partouzes. Ces établissements se multiplient à Paris. Il y a deux ou trois ans, il devait y en avoir une dizaine ; aujourd'hui, on en compte une bonne cinquantaine, et plus de 200 ont ouvert à travers le pays. Selon une étude, 400 000 Français et Françaises s'y rendraient au moins une fois par an. Ces clubs ont été longtemps un sujet de blagues de fin de repas, dans lesquelles ils passaient pour attirer les couples d'une quarantaine d'années cherchant à revitaliser leur vie sexuelle - les hommes en chemise à col ouvert et gros médaillon, les femmes moulées dans une minijupe en Lycra et des bas résille... Aujourd'hui, l'image a changé. La clientèle est, semble-t-il, bien plus jeune qu'auparavant. On y remarque beaucoup moins d'alliances aux doigts. En fait, ces lieux deviennent à la mode. Michel Houellebecq, le nouvel enfant terrible de la littérature française, les a décrits en détail dans son dernier roman, Les Particules élémentaires [Flammarion, 1998]. "C'est dans l'esprit du temps", déclare Pierre-Arnaud Jonard, un adepte assidu qui, comme une vingtaine d'autres Parisiens dégoûtés par l'ambiance "petite-bourgeoise" des clubs, organise maintenant ses propres soirées échangistes. Celles-ci rencontrent un grand succès parmi les jeunes professionnels d'une certaine caste : homo ou pas, il faut avoir entre 19 et 35 ans, et travailler à la télé, dans le cinéma, la publicité ou la photo.

L'étiquette est très stricte : un geste de la main suffit

Les clubs parisiens distribuent gratuitement des préservatifs au bar et, si certains admettent des hommes non accompagnés, ce n'est en général que pendant les tristes après-midi peu animés - et en leur appliquant un tarif d'entrée au double du prix habituel. L'étiquette est très stricte, à la fois respectueuse et respectée : chacun - surtout une femme - peut à tout moment décliner une proposition, sans avoir à fournir d'explication. Résultat : personne n'insiste et personne ne s'étonne si un couple préfère l'exhibitionnisme à l'échangisme ou choisit de rester assis à regarder sans rien faire. Les gens partouzent pour différentes raisons. Pour les plus âgés, la motivation traditionnelle est toujours la plus souvent invoquée. "Ç'a sauvé notre mariage", dit Klaus, un homme d'affaires allemand qui vit à Paris depuis plus de vingt ans. "Nous en avions assez l'un de l'autre. Nous nous trompions mutuellement. Ici, nous avons trouvé une sorte de nouvelle complicité. Ç'a marché pour nous." La nouvelle clientèle est différente. 





Pour le sociologue français Daniel Weltzer-Lang, "ces gens inventent une nouvelle sexualité. C'est comme si le couple devenait un espace ouvert."
Il est vrai que l'ambiance n'a rien de menaçant ni d'agressif. Les règles sont claires ; la technique de la drague est plus subtile que dans n'importe laquelle des boîtes des Champs-Elysées. Les femmes elles-mêmes affirment qu'un simple geste de la main, un hochement de tête suffisent à décourager toute attention non désirée. Beaucoup disent que c'est très libérateur. Bien entendu, c'est aussi très excitant. Comme l'explique Thierry Ardisson, célèbre animateur de télévision et client régulier des Chandelles : "Dans un club ordinaire, vous buvez votre verre et regardez danser les couples en les imaginant en train de faire l'amour. Dans ce genre de club, vous buvez votre verre en les regardant faire l'amour. On commence là où d'habitude on s'arrête."
Mais c'est aussi, d'une certaine manière, terriblement déprimant. Tout cela a beau être extrêmement poli, élégant et acceptable dans une France fin de siècle, où la télévision, les placards publicitaires et les boutiques de mode vous bombardent sans relâche d'images sexuelles plus ou moins explicites - il s'agit quand même d'une facette de la nature humaine que beaucoup préféreraient ne pas voir.

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